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24 janvier 2015, article par Gilbert GRANDIS

Une légende énigmatique pour un Douzain mal nommé et d’attribution contreversée

Mis à jour le 24/05/2015

Croix formée de 4 fleurs de lys.

Couronne de type royal, coupant la légende

par ses fleurs de lys à 3h et à 9 h.


Flan en billon.

Diamètre = 21 mm.

Poids = 0,91 gramme.


Cette «  monnaie à la couronne »  a été identifiée comme le Blanc Douzain correspondant à l’ordre de frappe du 3 juin 1349 pour l’atelier de Pont d’Ain et attribuée au comte de Savoie Amédée VI.

Nommée Blanc Douzain à la couronne par les principaux numismates transalpins qui l’on publiée, elle n’a pourtant pas les caractéristiques d’un Blanc Douzain.

Si la légende d’avers est explicite, la légende de revers n’a jamais été décrite entièrement à ce jour, sur aucun ouvrage de numismatique de la Maison de Savoie. Elle est à la fois originale et énigmatique.


C’est une imitation du Double Parisis émis par le roi de France Charles IV le Bel, le 2 mars 1323. (2ème émission).

G.  Gavazzi dans un article publié dans la Rivista Italiana de Numismatica en 1888 se prononce pour une contrefaçon, une émission donc abusive.

La prise en compte du contexte historique et des informations numismatiques pour cette période nous permettra peut-être d’expliquer cette émission si particulière.


Cet exemplaire est de même type que le précédent, les légendes sont identiques.


Diamètre = 21 mm.

Poids = 1,01 gramme


Diamètre = 21 mm.

Poids = 1,12 gramme


Ce dernier exemplaire est une imitation du Double Parisis émis par le roi de France Charles IV le Bel, le 24 juillet 1326. (3ème  émission)


Exemple des 2 émissions royales françaises pour comparaison.

Exemple 2ème émission

Exemple 3ème émission


Les 2 émissions royales diffèrent par l’ornementation de la couronne.

- 2 losanges sur la couronne de la 2ème émission

- 2 annelets sur la couronne de la 3ème émission. Sur ce type, un annelet est présent sous la couronne.


Notas :

1. La première émission du Double Parisis pour Charles IV comporte le mot REX sous la couronne, il n’a donc pas été imité.

2. Philippe VI a aussi fait frapper un Double Parisis à la couronne, du même type que la 3ème émission de Charles IV, avec les annelets.


Double Parisis de Philippe VI émis le 2 mai 1328.



3. Il est intéressant de constater que ces imitations au nom d’Amédée (MONETA AMEDEI) correspondent aux 2 émissions du Charles IV. Cela écarte l’hypothèse d’une imitation de la monnaie de Philippe VI malgré le fait que les règnes de Amédée VI et de Philippe VI soient contemporains :


- Charles IV a régné de 1322 à 1328.

- Philippe VI a régné de 1328 à 1350

- Amédée VI de Savoie a régné de 1343 à 1383


4. Les successeurs de Philippe VI, contemporains également de Amédée VI (Jean II et Charles V), ont eux aussi poursuivi les émissions de Double Parisis mais ceux-ci, avec des différences de gravures.




I) Le type monétaire


Quelques Blancs Douzains émis en Savoie :


 - Le premier Blanc Douzain à été frappé sous Aimon en 1342 et 1343. (son poids moyen est supérieur à 2 grammes.)

L’exemple qui illustre pèse 2,3 grammes,  son flan est en bon argent.

Douze besants apparaissent au revers.


- Le poids de ce rare Blanc Douzain émis sous Amédée VI également, entre 1352 et 1354      avoisine les 2 grammes.

L’exemple qui illustre pèse 2,15 grammes, son flan est en bon argent.

Douze besants apparaissent au revers.



Nous n’avons que très peu d’exemplaires à étudier mais les 3 monnaies à la couronne présentées ci-dessus pèsent en moyenne un gramme, ce qui correspond à la moitié du poids théorique d’un Blanc Douzain.

Le seul exemplaire publié jusqu’alors est celui du Musée de Turin.

Sur le C.N.I., le poids n’est pas indiqué.

L. Simonetti ne le précise pas non plus.

E. Biaggi indique 1,89 gramme.(il faudrait pouvoir se faire confirmer cette pesée).


Du point de vue métrologique, comme du point de vue typologique, cette monnaie à la couronne, ne correspond pas à un Blanc Douzain.

L’alliage du flan ne correspond pas à celui d’un Blanc Douzain qui est une monnaie forte dont le nom laisse supposer un bon argent.

Il est bien conforme par contre, à celui du Double Parisis, considéré comme une monnaie noire. (cf. article extrait de A. Dieudonné)

























II) Pourquoi cette imitation


Que cette monnaie soit  une imitation des Doubles Parisis du roi de France est une évidence.

La question est, dans quelles circonstances, cette imitation a-t-elle été produite ?

Imaginer qu’un comte, sans l’accord de son puissant voisin le roi de France, se permette d’imiter son monnayage sans autorisation, semble inconcevable.

Si la date de l’émission de cette monnaie, soit 1349 est exacte, le jeune comte n’avait que 15 ans…..

La vocation d’une imitation est de circuler dans la même zone économique que son modèle d’origine. L’imitation d’une monnaie noire comme le Double Parisis réduit fortement l’intérêt de « tricher » sur la teneur de métal fin afin de tirer des bénéfices.

C’est peut-être du coté des campagnes militaires françaises que cette imitation trouve sa source.


Si nous étudions le monnayage de Louis II de Vaud, nous pouvons constater que ce souverain à fait frapper un grand nombre de types monétaires royaux.

 Les imitations de Louis II de Vaud :

- Gros Tournois (3 types différents imités du Gros à la couronne de Philippe VI de 1337).

- Gros à la fleur de lys (2 types différents, imités du Gros à la fleur de lys de Philippe VI de 1341).

- Double Tournois (type imité du Double tournois de Philippe VI de 1338).

- Double Tournois (type imité du Double Parisis à la fleur de lys de Philippe VI de 1341).

La plupart de ces imitations ont été frappées dans l’atelier de Pierre Châtel dont le nom figure sur le revers de la pluspart d’entre elles.


Louis II, baron de Vaud a participé à de nombreuses batailles en Flandres, pour le compte de Philippe VI, (notamment à la bataille du Mont Cassel)

Etant tuteur du jeune comte Amédée VI, il gouverne la Savoie de 1343 à 1348 et pendant cette période il a fait appel à des contingents de cavaliers savoyards afin de combattre les anglais et leurs alliés. En 1346, il participe à la débâcle française de Crécy.


C’est en fait  le père de Amédée VI, le comte Aimon qui a été le premier souverain de Savoie à faire frapper des imitations royales françaises. Aimon a participé aux campagnes de Flandres et du Hainaut, au siège de Tournai, déjà allié à Philippe VI.

      Les imitations de Aimon:

- Obole  blanche à la fleur de lys (type imité du Gros à la fleur de lys de Philippe VI de 1341).

- Gros Tournois (type imité du Gros à la couronne de Philippe VI de 1337).


La solde allant au soldat, il parait naturel, pour répondre au besoin de payer les troupes, d’émettre des monnaies qui vont circuler sur le territoire royal français avec de nombreuses autres espèces similaires, frappées au nom de différents souverains.

Le droit de frapper monnaie de type royal, mais au nom du chef militaire parait alors plausible et correspondrait à une concession royale de circonstance.


En 1355, Amédée VI épouse Bonne de Bourbon, petite fille de Charles IV le Bel et nièce de Philippe VI de Valois. Les liens déjà étroits entre la maison de Savoie et le royaume de France, se trouvent  renforcés. Favorisé  par le roi de France Jean Le Bon, cette union va s’avérer fructueuse pour les états savoyards.


III) Une légende énigmatique

La légende de revers, du fait de la rareté de cette monnaie et donc du faible nombre de monnaies disponibles pour étude a fait l’objet de lectures partielles ou erronées.  


- Lecture sur le C.N.I.


                         - Lecture par G. Gavazzi

G.Gavazzi proposa de lire DUX, titre porté par Amédée VI pour le Chablais.

Il semble peu probable que ce soit un X, mais plutôt une croisette qui matérialise le début de la légende. Un X devrait être incliné par rapport aux autres lettres comme sur le denier du Chablais de AM6, ou le Gros de Aimon. (voir exemples ci-dessous).


                         - Lecture par L. Simonetti.

                         - Lecture par E. Biaggi

Les 3 exemplaires présentés ci-dessus ainsi que le joli exemplaire du Musée de Turin permettent une lecture fiable et complète de la légende.





Si la lecture de la légende est aujourd’hui aisée, il n’en va pas de même pour son interprétation.


Hypothèse et remarques :

- KS pourrait être l’abréviation de KABLASI. D’aucuns voudraient associer ces 2 lettres avec DU et X (croisette de début de légende) afin de lire DUX KABLASI car Amédée VI portait alors le titre de duc du Chablais.

>>>> Cette hypothèse sous entend que les autres lettres, T,R,O,L,I et B ont une signification. Quelle pourrait être la lecture de celles-ci ?

- Les lettres K, O et L sont pratiquement à la même place que celles de K AR OL US sur le Double Parisis, et la croisette du début de légende à la même place que le X de RE X.

>>>> Ces positions (superpositions) traduiraient la volonté de faire ressembler cette légende à celle du Double Parisis du roi Charles. Dans ce cas, pourquoi la légende de l’avers à été traitée différemment ?

- La légende démarre à 10h (habituellement à 0 heure pour la plus part des monnaies féodales) Ce n’est pas courant mais ce n’est pas une exception pour les monnaies de Amédée VI (voir le Florin et le Gros dont les légendes démarrent respectivement à 2 heures et 1 heure)


  V) Conclusion


Cette monnaie n’est certainement pas un Blanc Douzain.

C’est une imitation du Double Parisis dont 2 émissions de Charles IV ont servi de modèle.

Plusieurs types monétaires ont été frappés ponctuellement pour assurer la solde de combattants savoyards engagés au coté des troupes royales françaises.

Il est donc préférable de les nommer Imitation plutôt que contrefaçon dont les connotations péjoratives et abusives, sont infondées.


Sa légende de revers non déchiffrée est restée longtemps un cas unique pour la numismatique de la Maison de Savoie et demeure une énigme qui reste à résoudre.


Même si cela remet en cause l’attribution d’illustres numismates transalpins, cette monnaie est plus certainement le Double Parisis frappé au nom de l’évêque de Toul, Amédée de Genève, à Liverdun en Lorraine.


Références bibliographiques :


- L. Simonetti : Monete Italiane Medievali e Moderne.

            Vol. 1 Casa Savoia. 1967

- Elio Biaggi : Otto secoli di storia delle Monete Sabaude

Vol. 2 . 1994

- Giuseppe Gavazzi Rivista italiana di numismatica 1888.djvu/467

- Jean Duplessy : Les monnaies françaises royales

De Hugues Capet à Louis XVI (987-1793) Tome 1

2ème édition 1999.

- Marie José : La Maison de Savoie

Les origines, Le Comte Vert- Le Comte Rouge

1956

- FLON D. Histoire monétaire de la Lorraine et des Trois Evêchés, Tome 2 2002.


Denier Noir (type imité du Double tournois de Philippe VI de 1338).

       IV) Un Amédée peut en cacher un autre


            C’est à la fin de cette étude, suite à des échanges avec des amis numismates que la clef de cette             énigme est apparue. Une clef épiscopale et plus précisément lorraine.






















          Cette monnaie, parue dans une vente parisienne est semblable à celle de la fig 2 , objet de notre étude.           Identique d’un point de vue métrologique , elle ne diffère sur son revers que par des détails de la           légende :

 La croisette du début de légende est au dessus de la couronne à 10 heures.

 Le A de KASTRO est présent, contrairement aux exemples précédents.

                      Dominique FLON, dans son ouvrage Histoire monétaire de la Lorraine et des Trois Evêchés, tome                       2, page 452, représente un exemplaire identique en tous points à celui de la figure 2.


                      La légende du revers est cette fois lisible et cohérente.


 KASTRO ou KSTRO (du latin Castrum = lieu de campement, forteresse).

 LIBDU, abréviation de LIBERUM – DUNUM = LIBERDUNUM = la colline libre.


          Amédée de Genève,comte- évêque de Toul, de 1323 à 1330 était le fils de Amédée II de Genève, comte           de Genève et était contemporain de Charles IV le Bel.













          Notes :


                 - Il y a une Place de la cagnotte à Liverdun.

          La cagnotte, dans le sens « réserve de monnaie » pourrait indiquer l’emplacement de l’atelier monétaire,           une tour des fortifications portait d’ailleurs le nom Tour de la cagnotte.


                 - Le droit de battre monnaie aurait été accordé par l’empereur Frédéric Barberousse à l’évêque de           Toul –Liverdun, Pierre de Brixey, droit légué à ses successeurs.


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