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08 mars 2020

Article par Gilbert GRANDIS


Une vaudoise fort « trébuchante »

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1) Description.


Cette monnaie, frappée sur un flan légèrement ovalisé mais très épais est de conservation modeste, elle est toutefois bien lisible.

Croix double pattée, coupant la légende entre grènetis, cantonnée des lettres B// E// V //S// dans l’ordre des quadrants, de 1 à 4.

Grènetis barrés .

Aigle aux ailes éployées, tête à gauche au bec proéminent. Un lambel à 5 pendants se superpose aux plumes des ailes.

Grènetis barrés.


Flan de billon.

Poids = 1,77 gramme.

Diamètre = 15 à 17 mm (le coin d’origine devait avoir un diamètre de 17 à 18 mm)



2) Attribution, origine de l’émission.


Le nom du prince LVDOVICVS, à l’avers n’est suivi d’aucun titre, seule l’origine de la maison de Savoie, DE SABAVDIA est mentionnée au revers. Cette typologie, la croix pattée double qui coupe la légende se retrouve sur les monnaies de Amédée V, et particulièrement sur le denier du Piémont :

Ainsi que sur le denier de Savoie

Le légende intérieure, BEVS est très certainement l’abréviation de BENEDICTVS, légende que l’on retrouve sur le demi-gros attribué à Louis II de Vaud par S. CUDAZZO sous le numéro 65 de son ouvrage sur les branches collatérales de la maison de Savoie.

Il est intéressant de noter que la première lettre de cette légende abrégée est gravée dans le premier quadrant alors que toutes les légendes intérieures sur les monnaies de Amédée V commencent au deuxième quadrant. Cette double croix pattée, cantonnée de lettres d’une légende abrégée est inspirée par les monnaies flamandes. Thomas II, père de Louis 1er de Vaud était prince de Piémont et comte de Flandres.


L’aigle du revers laisse apparaitre un lambel à 5 pendants*, qui matérialise une branche cadette de la maison de Savoie. L’hypothèse de la branche d’Achaïe est à écarter d’emblée. En effet, Louis d’Achaïe a régné au début du 15ème siècle et la typologie monétaire est déjà très différente à cette époque. C’est donc bien une monnaie pour la baronnie de Vaud, créée à la mort du comte Philippe, dont le premier souverain, Louis 1er, a régné de 1286 à 1302. Son fils Louis II, lui a succédé de 1302 à 1350.


Les 2 aigles portent le lambel à 5 pendants.

Il faut noter que les croisettes, symboles du monétaire se retrouvent sur les monnaies de Louis 1er comme sur celles de Louis II.

Deux ateliers ont frappé monnaie pour la baronnie de Vaud, Nyon, le principal lors des règnes de Louis I et Louis II puis Pierre- Chatel, ouvert sous Louis II, dont le nom apparait parfois sur les espèces émises en cet atelier. Les gros et demi-gros décrits ci-dessus ont été attribués à l’atelier de Nyon.








* Notes héraldiques :


En héraldique, le lambel est un meuble ajouté à l’écu pour signifier une brisure. La brisure est utilisée pour distinguer sur un blason, aînés, cadets ou bâtards.

Un blason de la baronnie de Vaud adopté par Louis 1er, se trouve parmi 1728 autres blasons dans la salle héraldique de La Diana à Montbrison, datée de 1298 et située à sa fondation, dans  le comté du Forez. Il représente un Aigle éployé de sable, au bec et membres de gueule.

Ce n’est qu’au début du 14ème siècle que l’écu de gueule à la croix d’argent sera adopté par le comte Amédée V et par son frère, le baron Louis de Vaud qui verra le sien barré pour en signifier la brisure.




Exemple d’un écu avec lambel qui en terme héraldique se décrit comme suit :

Ecu d’argent au lambel de gueule à 5 pendants.



3) Considérations métrologiques.


Les relevés métrologiques du monnayage de la baronnie de Vaud nous montrent de grandes disparités de poids et de diamètres des flans. Malgré un flan court et ovalisé, le poids de cette monnaie est très élevé et ne semble pas correspondre à une « espèce courante ».


Quelques moyennes relevées sur des exemplaires de Louis 1er et Louis II :


Poids moyens des gros/ diamètres moyens                 De 2 à 3 grammes / 22 à 26 mm

Poids moyen des demi-gros/ diamètres moyens          De 1,3 à 1,8 gramme / 21 à 24 mm

Poids moyen des deniers forts/ diamètres moyens      De 0,6 à 1,5 gramme / 16 à 21 mm

Poids moyens des deniers/ diamètres moyens            De 0,6 à 1 gramme / 17 à 18 mm


Exemple d’un précédent :

Il nous faut faire un parallèle avec la monnaie frappée sous Louis II, décrite au numéro 56 de l’ouvrage de S. Cudazzo, sur les branches collatérales de la maison de Savoie. En effet, cette monnaie de poids lourd (4,37 grammes), plus de 2 fois supérieur au poids moyen d’un Gros, est baptisé double Gros. L’auteur émet l’hypothèse intéressante d’un piéfort** du Fort décrit sous le numéro 71 de son ouvrage.


** Le piéfort est apparu au 12ème siècle, à la fin du règne de Philippe Auguste. C’était au départ un projet monétaire, pas forcément suivi d’une émission. On peut le considérer comme un essai du graveur sur un flan de 2 à 4 fois plus épais que l’espèce à faire circuler. Ces piéforts étaient parfois offerts à des dignitaires proches du pouvoir.

4) Conclusion.


Cette monnaie, inédite jusqu’à ce jour, est certainement un denier fort de poids lourd, mais pourrait aussi être un rare essai monétaire qui n’a pas donné suite à une émission.

 Les arguments qui nous incitent à attribuer cette monnaie à Louis 1er sont les suivants :

Louis 1er a reçu de l’Empereur Adolf de NASSAU le droit de battre Monnaie en 1297, il a ouvert l’atelier de Nyon qui a frappé en son nom jusqu’à son décès en 1302, soit pendant 5 ans.

Les deniers émis par Amédée V, dits « petit du Piémont » et « petit de Savoie » qui présentent la même croix pattée double ont été frappés à la suite d’ordonnances de 1296 à 1298.

Un denier de Philippe d’Achaïe, prince du Piémont, frappé dans l’atelier de Moncalieri entre 1296 et 1301, présente aussi une croix double pattée coupant la légende du revers. (Voir N°3 de l‘ouvrage de S. Cudazzo, sur les branches collatérales de la maison de Savoie).

Louis 1er, à la suite d’une grave maladie contractée en 1292 fait le vœu de construire à Nyon un couvent pour les franciscains. Il s’engage même à devenir un des frères de cet ordre mais n’en a pas le temps car il meurt avant. La légende « BENEDICTVS » fait peut-être référence à cette dévotion.



Nous ne pouvons que constater que le type monétaire de notre denier « à la croix double pattée » est contemporain des émissions de la toute fin du 13ème siècle, à la fin du règne de Louis 1er.

Le seul atelier en activité sous Louis 1er était celui de Nyon.


Bibliographie :

SIMONETTI L. (1967) Monete Italiane Medievali e Moderne, Vol. 1 Casa Savoia.

BIAGGI E. (1993) Otto secoli di storia delle Monete Sabaude, Vol. 1.

CUDAZZO S. (2005) Monete Italiane Regionali Casa Savoia. Ed. Numismatica VARESI

CUDAZZO S. (2008) I Rami Collaterali di Casa Savoia. Ed. Numismatica VARESI

ROVERA G. ( 2019) Monete e Zecche dei conti sabaudi. L’artistica Editrice

Deux monnaies à l’aigle sont déjà répertoriées pour la baronnie de Vaud, un gros, attribué à Louis 1er (Photo ci-dessous).

et un demi-gros attribué à Louis II. (Photo ci-dessous).